En temps jadis…
L’utilisation de substances pour accroître de manière temporaire les qualités physiques est une pratique vieille comme le monde. Avant les Jeux Olympiques, avant les guerres, avant la civilisation, avant la sédentarisation de notre espèce, nos ancêtres utilisaient déjà le pouvoir des plantes et des champignons à leur avantage pour repousser la fatigue, la douleur et la mort. Une forme de dopage ancestral ? Il y a fort à parier que cette pratique était involontaire lors de son premier usage.
Prenons comme exemple les chimpanzés d’Afrique Centrale, friands de baies sucrées en tout genre, qui finissent accro à l’alcool malgré eux, à cause de la fermentation des baies en questions. Les mâles dominants se battent pour l’accès à ces petites douceurs alcoolisés qui représentent un nectar inestimable dans leur vie sauvage, mais également pour ses effets ergogéniques : perception de la douleur diminuée et inhibition de la peur.
Ces deux effets pourraient permettre à un jeune chimpanzé téméraire de chercher des noises au mâle dominant de la tribu ou de prendre son courage à deux mains et d’aller offrir une baie sucrée à la chimpanzé de son cœur. Comme quoi, nous ne sommes pas si différent.
Une autre histoire vieille comme le monde est celle du miel fou. Sur les versants de l’Himalaya se trouve une espèce particulière de Rhododendron, un genre de plante à fleurs dont le pollen contient des grayatatoxines, un genre de neurotoxique qui modifie le potentiel électrique des membranes neuronales ce qui procurent des hallucinations, diarrhées et vomissement.
Les abeilles sont plutôt bien immunisées à cette toxine et récoltent le pollen pour en faire du miel. A présent, posez vous la question : qui aime le miel dans la nature ? Les ours adorent le miel. Dans l’Himalaya, si vous croisez un ours avec un comportement étrange (par exemple, il veut à la fois vous manger et vous faire un câlin), il est fort probable qu’il soit sous l’emprise de cette drogue à cause du miel fou et qu’il soit, par dessus le marché, devenu addict…
Il existe également des anecdotes historiques assez cocasses en lien avec ce miel étrange. En l’an 69 avant Jésus Christ, du temps de l’Empire Romain, le très célèbre général Pompée cherchait à envahir les territoires de Mithridate IV le Grand, en Asie Mineur.
Ce dernier fit en sorte que l’armée romaine, une fois arrivée en terre perse, fasse consommer à ses soldats du miel local pour nourrir ses troupes. Il s’agissait du miel fou. Une fois pris d’hallucination, les soldats romains incapables de se défendre, furent massacrée par l’armée de Mithridate. Pompée pris sa revanche 3 ans plus tard et Mithridate fût vaincu définitivement. Vous savez ce qu’il vous reste à faire comme cadeau à votre meilleur ennemi…
Les Jeux Olympiques et le Soft Power : père et mère du dopage.
Lorsque les anciens Grecs ont inventé les Jeux Olympiques, c’était à la fois pour faire honneur à Zeus, dieu suprême de l’Olympe mais également pour élire un champion parmi la masse d’hommes qui prétendent mériter l’attention de récits historiques.
Dans les mythes Grecs, les Jeux prennent leurs racines dans les récits du héros Pélops, qui demanda la main d’Hippodamie, fille du roi Oenamaos. Ce dernier demandait aux prétendants de gagner une course de chars. S’ils étaient vaincu, ils étaient tué. Pélops néanmoins triompha là où les autres échouèrent et la course de chars devint emblématique des Jeux Olympiques.
De par leur caractères sacrés, la tricherie aux Jeux est non seulement un acte répréhensible devant les hommes mais également devant les dieux. D’un point de vue moral, la quête de dépassement de soi dans le mythe à l’origine des Jeux n’était pas pour obtenir une gloire personnelle mais la main d’un être aimé. Dans cette mythologie, la tricherie ne fait absolument aucun sens.
Bien sûr, cette perception “antique” des Olympiades fût perdu avec les millénaires et lorsque les Jeux furent ressuscité par Pierre de Coubertin en 1894, il s’agissait d’une recherche de performance pure, tintée du racisme de la fin du XIXième siècle et du début de l’eugénisme qui servira de prétexte au parti Nazi quelques dizaines d’années plus tard.
Dans cette ambiance, la gloire est une fin en soi et le pays qui remportera le plus de victoire démontrera sa domination sans avoir besoin de prendre les armes. En effet, le sport permet par sa popularité, sa neutralité politique, son universalité et sa médiatisation de séduire et d’exporter la culture du pays vainqueur où les armes échoueront à coup sûr.
C’est l’avènement du Soft Power qui prône l’idolâtrie des athlètes devenus, au travers de leurs performances et malgré eux, les parangons de l’idéologie politique de leur nation. Tout les coups sont alors permis, et donc le dopage voit de beaux jours devant lui, et cela dans absolument tous les sports, à tous les niveaux et quelque soit la rémunération des athlètes ou leur rayonnement. Même si ces derniers sont nuls.
Chemin introspectif
Ce dernier point est étrange. La fin justifie les moyens mais s’il n’y a pas de fin ? Pourquoi ? Pourquoi prendre le risque d’utiliser des substances dangereuses pour sa santé s’il n’existe aucun bénéfice ? Simplement parce qu’il n’existe pas de limite basse à l’égo, ou, pour dire les choses de manière plus scientifique, parce que les circuits de la récompenses dans le cerveau, n’ont pas de limites basses en dessous desquelles la dopamine n’est pas produite.
La dopamine ? C’est un neurotransmetteur responsable du sentiment de satisfaction après une action. A l’école, lorsque vous aviez une bonne note, de la dopamine était libérée dans votre cerveau, ce qui vous incitait à recommencer. C’est la même chose avec le sexe. Et dans le sport, c’est ce qui conduit les passionnés à repousser leurs limites pour atteindre le podium.
Le symbole de la médaille, la foule qui acclame, les proches qui félicitent, l’argent qui parfois abonde, autant de récompenses qui enflamment notre petit cerveau. La dopamine peut nous faire perdre le sens des réalités et des priorités. Un sportif, en quête d’un puissant shoot de dopamine, peut vouloir réaliser un exploit physique extrême qui mettra sa santé en péril à court ou long terme. Lorsque l’addiction prend le dessus, tous les moyens sont bons pour obtenir cette dopamine, quitte à employer des substances illicites.
Les quatre piliers du dopage
Si l’on prend du recul, il n’y a pas 36 000 raisons au dopage. En voici quatre qui sont majeures :
Je discute de ces quatre facettes du dopage moderne avec Sean sur le podcast dédié. Pour en savoir plus, allez y jetez un œil (voir les deux !). Voici le lien :
Voici quelques exemples pour chacun de ces cas.
Le dopage au service de la nation et de la politique
En 1997, un an avant la coupe du monde Football, Jack Chirac eu l’idée de faire la tournée de l’Amérique latine avec Michel Platini, star international du football à l’époque. Les pays de l’Amérique latine, la Bolivie en tête, remercia chaleureusement l’homme politique pour la publicité qu’il fit du football à travers le monde. Ce dernier profita de ces nouveaux liens d’amitiés pour créer des partenariats commerciaux entre la France et le Brésil, l’Argentine, la Bolivie etc.
Plus près de nous, il y a le conflit entre l’assaillant Russe et l’Ukraine. Si l’on isole uniquement l’aspect sportif, on peut trouver quelques informations remarquables pour les deux pays. La Russie, dans la continuité de la guerre idéologique qui l’oppose aux Etats-Unis d’Amérique, possède une culture forte du dopage des athlètes et fût banni des Jeux Olympiques à partir de 2017 à cause des révélations faites sur les Jeux de Sotchi en 2014, année du début du conflit avec l’Ukraine.
On peut remettre en question la pédagogie de cette sanction qui fût vécu comme un ostracisme humiliant et sans précédent par le peuple russe au sein d’un évènement mondial censé être universel et neutre. Les athlètes russes pouvaient cependant participer sous bannières neutres, rendant ainsi toute victoire inexploitable par leur pays.
De l’autre côté du spectre se trouve les athlètes ukrainiens qui, miraculeusement depuis 2014, gagnent de plus en plus de médailles lors des grosses compétitions internationales. L’Agence Mondiale Anti-dopage ou AMA a dévoilé en 2019 après son “Opération Hercule” que l’Ukraine a mis en place de faux contrôles anti-dopages depuis 2012 pour mettre à mal les tests de contrôles organisés lors des évènements sportifs.
Pourquoi faire une chose pareille ? Imaginez vous être l’athlète d’un pays en guerre car ce pays se défend contre un envahisseur. Remporter des épreuves dans les grandes compétitions internationales revient à dire aux spectateurs du monde entier : “Regardez comme notre peuple est fort. Nous nous défendons, nous continueront de nous défendre et nous méritons d’être défendu”.
Il y a peut être une pointe d’eugénisme dans cette phrase et dans la nature humaine qu’il serait intéressant de sonder. Mais pas aujourd’hui, pas ici.
Si la guerre et la politique s’immiscent dans le sport, comme lors de l’Open de Tennis de Miami où la joueuse Ukrainienne refusa de serrer la main de son adversaire russe, alors l’essence de la neutralité du sport et des Jeux Olympiques peut être détruire et ne servir que de petits bois aux feux de la guerre. A méditer.
Le dopage sportif qui rapporte gros
Les idoles sportifs de notre planète sont riches, très riches. Ils appartiennent à des clubs richissimes qui eux-mêmes dépendent de fédération sportive internationale extrêmement puissante.
Comme je l’explique dans le podcast, les probabilités pour que ces athlètes ne prennent aucune substance ni ne jouent avec le règlement, sont proches de zéro. Trop d’argent est en jeu. Prenons par exemple la NBA, la première ligue de Basket aux Etats-Unis. Le magasine d’économie Forbes, connu pour ses classements sur les milliardaires, a évalué la valeur de chaque club de NBA ainsi que leur revenu annuel. Voici en image ce que ça donne, ainsi qu’un lien pour plus de détails :
Lorsque vous investissez autant d’argent dans un sport, dans des athlètes, dans le merchandising” et que votre retour sur investissement dépend de votre taux de victoires et de votre classement annuel, il va sans dire que la question du dopage n’est qu’une vulgaire blague Carambar !
Cela ne signifie pas nécessairement que le dopage est excessif, et qu’il pousse les athlètes à une mort prématurée mais que le dopage est simplement inscrit dans le ronron du quotidien et qu’il n’est pas distinguable des aides ergogéniques autorisées par l’AMA.
Il ne faut pas non plus oublier que le sport est un ascenseur social très puissant, pouvant catapulter en quelques années un quidam fauché vers les cieux dorés des villas de multi-millionnaires. Cette rampe abrupte rend le dopage encore plus tentant.
Si les champions peuvent gagner des millions en étant analphabète, pourquoi consacrer du temps à l’école, à l’éducation et ne pas investir tout son temps, toute son énergie et son espérance de vie à l’entraînement et forcer son chemin par les produits vers la victoire et la gloire ? Ce raisonnement tient debout pour le sport du haut niveau, mais également dans le monde des influenceurs, voir des “influmenteurs” expression consacrée ces dernières années pour désigner ces nouvelles stars du net, ces prophètes du divertissement, qui mentent pour vos beaux yeux et se remplissent les poches de votre crédulité.
Le dopage aux service des influenceurs de votre vie
Il n’est pas nécessaire d’accomplir des exploits sportifs pour vous vendre quelque chose. Mais il est nécessaire d’exciter votre cerveau de la bonne manière, ou dit de manière plus scientifique, activez les circuits de la récompense de votre cerveau.
Parmi les choses légales, et dont on peut légalement faire de la publicité, il y a l’attrait à la beauté et la sexualisation des corps, le sens artistique, la polémique ou l’humour, la bouffe et bien sûr l’exploit sportif. Avec les mots clefs de cette seule phrase, vous avez compris le contenu de 99% d’Instagram. Et comme chez les sportifs, il y a des petits et des gros joueurs chez les influenceurs.
Si la majorité d’entre nous sommes influencés par les petits influenceurs (en vert et jaune d’après l’image ci-dessus), alors ces petits influenceurs sont eux-mêmes influencés par des plus gros etc. Ce qui donne l’analogie d’une chaîne alimentaire où les plus gros prédateurs de l’influence seraient Christiano Ronaldo, Kim Kardashian, Justin Bieber et Ariana Grande. Ce n’est que mon avis, mais je n’ai pas envie d’avoir ces quatre individus à la tête de l’humanité pour suggérer à la masse que faire et que penser.
Que viens faire le dopage là-dedans ? Ici le dopage peut prendre d’autres formes pour satisfaire votre circuit de la récompense : des retouches photos, de la chirurgie esthétique, du soft porn en guise de story quotidienne, et bien sûr des physiques musculeux secs absurdes et inaccessibles pour la majorité des gens, avec ou sans produit dopant.
Ces images de femmes et d’hommes aux lignes quasi-parfaites qui abondent de manière quotidienne dans notre cerveau est une nouveauté évolutive à laquelle il nous faut faire face. Notre cerveau de grand singe croit, à cause de cette surabondance d’images fantasmatiques, qu’un nombre illimité de partenaires sexuelles parfait(e)s est à sa disposition ou que ses semblables (du même sexe) ont des années lumières d’avance sur notre fragile beauté éphémère.
Ceci amène à trois conséquences fâcheuses. D’abord l’humain est biaisé par la beauté, et la suit sans trop réfléchir. Donc ces influenceurs à la pneumatique quasi-divine attirent à eux une masse d’individu en quête de réponse. Cela amène à de l’idolâtrie et l’Histoire a montré à de mainte reprises que l’idolâtrie conduit les peuples à la ruine (Nazisme, Stalinisme, guerre de religions et cookies trop cuit dans le four).
En plus, cela conduit les femmes comme les hommes à de la dysmorphophobie, c’est à dire à la perception erronée de son propre corps. Tout ceci amène à des souffrances psychiques considérables. Enfin, pour couronner le tout, la vue permanente de ces corps pneumatiques (pour reprendre l’expression d’Aldous Huxley), atténue considérablement la perception des corps des potentiels partenaires sexuels que l’on rencontre, ce qui diminue les chances de s’accoupler. L’exemple parfait de cette folie est le Japon aujourd’hui où 60% des jeunes célibataires (20-40ans) ne cherchent même pas à trouver l’amour.
Que conclure ?
Tricher va contre l’esprit sportif mais l’esprit sportif est-il la principale préoccupation des athlètes professionnels ? Est-ce le public ou la morale public qui demande des performances naturelles et “éthiques” ? Est-ce possible de mettre tout le monde sur le même pied d’égalité ?
Prenez le Kazakhstan et les Etats-Unis. Ces deux pays sont-ils égaux dans leur capacité à rassembler des athlètes en haltérophilie ? A concevoir des centres sportifs dédiés ? Nourrir la culture du pays par l’haltérophilie ? Créer de l’équipement de pointe ? Investir dans les athlètes de haut niveau ? Clairement non. Et dans ce combat truqué au départ, la seule solution du pays le plus petit sera l’utilisation de substances dopantes.
Et les spectateurs dans toute cette histoire, ne sont-ils pas complice du dopage ? Qui veut du spectacle et des retournements de situations impossibles ? Qui veut voir de l’héroïsme tragique, des athlètes blessés qui se relèvent ? Qui veut voir les impossibles records du monde être battu sans cesse ? Est ce que les stades Olympique seraient pleins sans les Usain Bolt, Teddy Rinner, Lu XianJun, Shelly Fraser Pryce et Simone Biles ? Retenez bien cela : le dopage des athlètes est la dopamine des spectateurs.
Ainsi s’achève ce modeste article sur la sociologie et l’histoire du dopage. Un autre article sera dédié entièrement à la biologie des substances dopantes et à ses implications malheureuses pour la santé.
Un article pépite ! Merci !